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Transgénèse

En raison d’un élevage difficile de populations d’araignées, l’idée de produire de la soie à l’aide d’autres organismes vivants s’impose : les chercheurs se tournent vers le génie génétique. Il s’agit ainsi de réaliser une transgénèse. 

Une remarquable alternative

Cette opération consiste à prélever un gène intéressant d’un individu donneur (ici l’araignée) afin de l’ajouter à un corps receveur, qui en exprimerait le caractère. Un organisme est donc dit « transgénique » lorsqu’on lui a incorporé des gènes d’une autre espèce, souvent dans le but de le voir fabriquer des produits commerciaux. L’araignée qui fournit les gènes codant la soie est le plus souvent la Nephila Calvipes, dont le fil est le plus résistant.

Qu'est-ce qu'une transgénèse ?

L’ADN est une molécule présente chez tous les êtres vivants. Dans les cellules eucaryotes (comme les cellules animales et végétales) elle se situe dans le noyau. Afin de synthétiser des protéines dans le cytoplasme, elle utilise un intermédiaire, l’ARN, qui résulte de la copie de l’un des brins. Celui-ci est divisé en codons, triplets de nucléotides, que l’on nomme « acides aminés ». La séquence des acides aminés détermine la structure et la fonction d’une protéine.

Randy Lewis, chercheur au sein de l’US Army Soldier and Biological Chemical Command de Natick, identifie en 1990, les deux gènes codant pour la synthèse des protéines de la soie d’araignée (MaSpI et MaSpII). 

Les premiers essais avec Escherichia coli...

Escherichia coli est une bactérie, sélectionnée par les scientifiques pour produire du fil d’araignée : on maîtrise parfaitement la manipulation de cette cellule, il est facile de s’en procurer et l’opération est rapide. Les gènes codant pour la soie sont intégrés au patrimoine génétique de la bactérie, qui le multiplie en se reproduisant. Bien que l’expression de ces gènes soit une réussite chez la bactérie Escherichia coli, d’importants problèmes subsistent, comme l’instabilité et la coupure des séquences d’ADN utilisées, qui entraine une diminution de la qualité et de la quantité de la toile finale. Elle se révèle moins résistante et élastique que la soie d’origine, et les rendements en protéines sont faibles, de l’ordre de 4 à 300 mg/L. Très peu solubles, elle nécessite également beaucoup de solvant devenir solide. 

De la soie d'araignée dans le tabacs et les pommes de terre ?

Les chercheurs canadiens ont tenté d’insérer les fameux gènes dans des cellules de tabac et de pommes de terre. Avec la croissance de la plante, ils se sont multipliés et synthétisent les protéines. Celles-ci sont extraites des feuilles après la récolte. On note une production de soie 10 à 50% supérieure à celle des bactéries Escherichia coli.

« La pomme de terre […] a exprimé 2% de protéines de soie authentique. C’est une protéine soluble de bonne qualité »

Des recherches continuent alors pour déterminer le meilleur hôte : de nombreuses expériences sont réalisées sur divers êtres vivants (végétaux, animaux et bactéries). Elles aboutissent à un choix tout à fait original : la chèvre.

Jeffrey Turner, à la tête d’une entreprise québécoise, Nexia Biotechnologies (Montréal), acquiert le brevet déposé par Randy Lewis. En 1993, il remarque des similitudes entre les glandes séricigènes des araignées et les glandes mammaires. Un mammifère constituerait alors la meilleure solution pour accueillir les gènes arachnéens. A la suite d’expérimentations sur plusieurs animaux (dont la vache et le hamster), la chèvre semble être l’animal idéal pour remplir ce rôle. 

La chèvre, un choix stratégique

« Nous aurions pu choisir la vache parce qu’elle produit plus de lait ou la souris parce que c’est simple d’y transférer des gènes, explique Jeffrey Turner. Si nous avons opté pour la chèvre, c’est parce que son cycle de reproduction est plus rapide que celui de la vache et parce que c’est un animal plus facile à traire que la souris. »

La firme canadienne lance donc la création d’une « chèvre-araignée » : les gènes sont introduits dans des embryons de chèvres, dont le génome se trouve modifié. Lors de la division cellulaire, ces gènes sont dupliqués et se retrouvent dans chaque cellule du chevreau. La capacité de ces bêtes à produire les protéines de soie est transmise à leur descendance. Les deux premiers boucs, Webster et Peter, naissent en Janvier 2000. Un troupeau d’animaux transgénique est donc rapidement formé, sans qu’aucune autre manipulation soit faite, et donc aucun coût supplémentaire…

Comment prélever la soie ?

Le mammifère transgénique ressemble en tout point à ses congénères, et n’a rien d’une chimère de science fiction. C’est dans son lait que sont extraite les protéines, d’abord liquides. Celles-ci sont séparées du lait à l’aide d’un extracteur (par précipitation et chromatographie sur colonne) avant de la distiller et de la purifier. Elles sont ensuite filtrées dans de petits orifices, selon le principe des fusules (on applique une pression sur la solution de protéines), se solidifient et se soudent dans un solvant. Un système de poulies y exerce une tension, permettant de mieux contrôler les domaines cristallins de la fibre. Le fil est finalement enroulé autour d’une bobine. On extrait ainsi entre 1 et 20 grammes de soie pour un litre de lait. Nexia parvient à produire des fibres de soie de 10 à 60 mm.

Une solution jusdicieuse : le vers à soie

Le vers à soie Bombyx mori est une chenille qui produit de la soie pour fabriquer son cocon. Bien que celle-ci soit nettement moins intéressante que la toile d’araignée, elle est depuis longtemps exploité dans certains domaines : elle est notamment utilisée en tant que fil de suture. L’élevage du vers à soie est, contrairement à sa concurrente arachnéenne, très simple et déjà fortement développé. Des scientifiques des universités de Wyoming, de Notre-Dame et du Zhejiang sont parvenus à des résultats satisfaisants en menant des expériences sur la chenille. Ils emploient un fragment d’ADN très utilisé pour les transgénèses pour transposer un gène d’un organisme à un autre : le piggyBac. Comme la « chèvre-araignée », le vers à soie synthétise les protéines attendues. Même si celles-ci ne représentent que 2 à 3% du cocon, leurs propriétés mécaniques (comme l’élasticité et la résistance) dépassent celles d’origines. En 2002, une équipe chinoise montre que bloquer la tête des vers à soie et leur soutirer la soie de manière rapide et continue rend la structure de celle-ci plus homogène. Ces qualités se rapprochent un peu plus de celles du fil d’araignée. Le vers à soie est aussi plus efficace que la chèvre : il tisse plus d’un kilomètre de soie à raison de 15 centimètres à l’heure. Enfin, il n’y a aucun risque qu’une chenille sauvage transgénique prolifère puisqu’elle ne survivrait pas dans la nature.

 

Aujourd’hui, plusieurs entreprises se sont penchées sur la production et la vente de soie d’araignée. C’est le cas d’Amslik, une start-up allemande qui, depuis 2008, compte bien utiliser les propriétés fascinantes de la fibre, qu’elle synthétise à l’aide de bactéries présentes dans les intestins humains. En Novembre 2013, Amsilk lance sa propre marque de cosmétique : Spidersilk.

Protéine de soie provenant d'un Bombyx mori

Le vers à soie Bombyx mori

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